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Conversation avec Constanza Martinez

Décembre 2021

Artiste peintre à Cessy, France.



Constanza m’invite à m’asseoir. Dehors il fait un froid gris pâle, les nuages bas écrasent tout contraste — mais son petit atelier, au sous-sol de sa maison à Cessy, est haut en couleurs et textures. Des portraits de femmes nous entourent – elles sont dotées de coiffes délicates, qui de plus près se révèlent être des collages complexes de fleurs, de bijoux, d’insectes et d’objets insolites. En face d’elles, un clown les dévisage tristement ; sa perruque frisée en relief est composée de coquilles de cacahuètes… Une esthétique unique qui attire le regard et invite à s’attarder devant chaque tableau.


Constanza m’explique son approche pour le thème de la prochaine biennale de Divonne, « Faire le Mur » :


En ce moment je m’intéresse aux jeux de couleurs et aux textures du collage. J’aime les années 20 et leurs femmes rebelles qui s’habillaient avec des costumes d’hommes, des plumes et des couleurs extravagantes… Elles fumaient, elles demandaient le droit de vote – bref, elles faisaient le mur avec toutes les règles qu’on leur imposait auparavant. J’essaie de montrer ces femmes et leurs attitudes de manière intéressante en jouant avec les couleurs, les textures et l’esthétique cette époque-là. C’est un vrai défi pour moi, car j’ai tendance à être très structurée, trop même… Il va falloir que je fasse le mur moi aussi, et que j’aille un peu vers la folie et la liberté pour casser la rigidité que j’ai en moi ! D’ailleurs c’est pour ça que j’ai commencé en parallèle une série de peintures de clowns : c’est un thème qui se prête à l’expérimentation, je peux jouer sans me soucier.




« J’ai tendance à être très structurée, trop même… Il va falloir que je fasse le mur moi aussi, et que j’aille un peu vers la folie et la liberté pour casser la rigidité que j’ai en moi ! »

Tout à l’heure tu critiquais le portrait sur lequel tu travaillais – c’est important pour toi que tes œuvres soient esthétiques, que ton travail plaise ?


Je n’ai pas encore de réponse à cette question. Et comme à ce moment de ma vie, j’ai décidé de mettre en avant mon travail d’artiste, la question se pose plus fortement. Parfois ça me dérange, car j’ai l’impression que ça a un impact sur ma peinture. Je sais que quand je regarde quelque chose de beau, ça me fait du bien, ça nourrit mon âme. Et je me pose la question de savoir ce qui plaît aux gens aujourd’hui en 2022, ce qui va interpeller l’œil. Car au final on essaie de communiquer, de transmettre quelque chose.



Donc tu explores quelque chose en toi, et en même temps tu recherches une certaine beauté qui aide à communiquer ton ressenti ? Quand tu as commencé à peindre, est-ce que tu te souviens avoir eu une approche simplement esthétique, ou est-ce que tu pensais déjà à exprimer quelque chose ?


J’ai commencé à peindre toute petite, et au début j’étais très attirée par l’esthétique. Ensuite est venu autre chose. Il y a un dessin qui me vient en tête que j’ai fait quand j’étais adolescente – le portrait d’une fille au profil angélique, qui au fur et à mesure qu’elle tournait la tête devenait un monstre. Je pense que j’ai toujours été captivée par la beauté autant que par la provocation, les choses qui dérangent. C’est pour ça que j’aime les clowns – le visage du clown sourit, mais derrière son maquillage, il est effrayé, ou triste, ou perdu. Il y a des choses qui se cachent. C’est tout de suite plus intéressant.




Ton portrait de clown dérange, c’est sûr. Est-ce que tu essaies aussi de provoquer, de faire réagir, avec tes jolis portraits de femmes ?


C’est clair que je cherche à faire quelque chose qui va au-delà de la pure esthétique. Il y a une partie de moi qui veut se révéler, qui veut faire le mur, et peut-être que mes clowns m’aident à libérer ce côté-là, et que je vais pouvoir m’en servir pour décontracter ces femmes un peu trop rigides, pour les rendre plus intéressantes.


Est-ce que tu as conscience d’exprimer tout ça quand tu peints ? Est-ce que tu recherches l’expression de thèmes particuliers ?


Oui, je me force à explorer certaines choses. J’ai tendance à être un peu académique – j’essaie d’apprendre à représenter correctement les visages, les proportions des corps etc. Mais d’un autre côté j’essaie de combattre cette approche en utilisant des techniques qui laissent un peu plus le hasard prendre le relais. C’est ça mon enjeu pour cette année.




Est-ce que tu penses que la façon dont tu approches ton art reflète comment tu es dans la vie ?


Complètement. C’est pour ça que j’essaie de faire plus confiance au hasard, de ne pas vouloir toujours tout contrôler, et d’être plus gentille avec moi-même – ma prof de peinture m’a beaucoup aidée à travailler cette liberté, et c’est pour ça que j’ai vraiment pris mon envol avec l’art ces dix dernières années.



Comment ces explorations dans ton art influencent le reste de ta vie ?


Je pense que jusqu’ici je n’ai pas donné suffisamment de place à mon art pour qu’il influence vraiment le reste de ma vie. Maintenant j’ai pris une décision consciente d’être plus attentive à ce que mon art va me dire sur moi-même et le chemin que je dois prendre. L’art ça m’apaise, ça me guérit, et c’est pour ça que c’est important pour moi de l’intégrer à ma vie de tous les jours.


Apaiser, guérir – c’est ce que tu essaies de faire pour les autres avec tes tableaux ? Quel est ton message avec ces femmes des années 20 qui font le mur ?


J’essaie de dire que la vie est pleine de couleurs, qu’il ne faut pas la rater ! J’aurais aimé être comme elles – porter une robe en soie avec des plumes, fumer une cigarette avec style… C’était une performance permanente ! J’adore !




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