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Conversation avec Chantal Claizergues

Janvier 2022

Artiste sculpteur à Divonne-les-Bains.



Chantal m'invite à entrer dans son atelier sur les hauteurs de Divonne-les-Bains. Tout autour de la grande pièce boisée, des silhouettes élancées et visages paisibles témoignent du talent remarquable de cette artiste sculpteur. Chantal écoute patiemment mes questions et y répond de manière réfléchie et avec beaucoup de modestie. Elle me semble incarner le même calme, la même bienveillance que ses sculptures.


Avais-tu l’intention de devenir artiste ?

Non pas du tout, ce n’était pas une direction que j’imaginais prendre au départ. J’aimais dessiner quand j’étais enfant, mais je ne pensais pas du tout à l’art... Dans ma famille, il y a peu d’artistes. Mais la terre, ça… ça a été une réelle découverte. Tout de suite un vrai plaisir ! La terre me correspondait – le toucher, la forme, la sculpture. Alors j’ai eu une formation sur le tas, auprès des artistes et au hasard des rencontres. À Bruxelles j’ai rencontré un céramiste sculpteur, qui m’a initiée au métier ; il m’a appris les différentes méthodes de fabrication, la cuisson, l’émaillage. Et à Genève, j’ai travaillé le modèle vivant aux cours du soir aux Beaux-Arts, puis dans l’atelier du sculpteur Otto Bindschedler, qui m’a fait découvrir le bronze.



À quoi ressemblaient tes premières œuvres ?

Mes premières pièces étaient des visages moulés, que j’habillais ensuite avec des drapés. Ces petites sculptures découlent de ma découverte de l’Art Nouveau de la fin du 19ème, début du 20ème siècle. C’est une époque très présente en Belgique où l’artisanat d’art s’est beaucoup développé, notamment dans la travail de la céramique, du verre et du bronze… Un travail figuratif d’une grande finesse.



Ces visages, ce sont des bédouins ?

Oui, j’ai passé deux ans en Tunisie, et j’ai été marquée par ces visages drapés. J’ai beaucoup été inspirée par mes voyages – mes sages, par exemple, qui sont partis d’un voyage au Tibet, des moines bouddhistes là-bas. Ce sont des rencontres et des images qui sont restées gravées dans ma tête.


L’inspiration part d’une image, d’une idée – ensuite, en travaillant, cette idée se forge et se développe, elle s’enrichit de tout ce qu’on a en mémoire, de souvenirs, d’émotions…



Après tes petites sculptures de visages, tu es passée aux corps – surtout féminins ?

Oui, je n’ai pas sculpté beaucoup d’hommes ; même si j’ai beaucoup admiré l’œuvre de Rodin pour sa puissance et sa force, c’est le corps de la femme qui représente la ligne la plus pure possible dans mon sens esthétique. Je suis plus proche de la sensibilité de Camille Claudel que de Rodin !




On voit dans ces corps un grand souci de précision. Tu as toujours été aussi perfectionniste dans ton travail ?

J’ai beaucoup travaillé les nus, l’anatomie, l’observation. Je me suis acharnée longtemps pour arriver à rendre la pose avec des lignes simples. Ma notion du « beau » est très présente ; c’est ce qui m’amène à être perfectionniste ! Je voulais faire les corps les plus fins, les plus finis possibles, aller au bout de la démarche.


Ta série de danseuses découle de cette préoccupation ?

Oui, au début j’ai travaillé les corps féminins à partir de nus statiques, et puis au bout d’un moment j’ai eu envie de faire bouger ces corps… alors je suis partie dans un envol avec mes danseuses !

J’ai été très émue par les ballets, de Béjart notamment, et aussi celui créé par la danseuse Marie-Claude Pietragalla-Sakountala, qui exprimait si bien les souffrances de Camille Claudel. J’ai eu beaucoup de plaisir dans cette voie, et beaucoup d’admiration pour le travail des danseurs.


Avec mes danseuses j’ai aussi eu le plaisir de découvrir le travail du bronze, car c’est vraiment le matériau qui magnifie la sculpture… Et le travail dans une fonderie est une belle découverte.


Les modèles vivants et les danseuses, ça a été vraiment une époque de recherche… jusqu’à satisfaction. C’est très difficile de lâcher une pièce, de se dire « ça y’est maintenant c’est terminé » ! Car il ne faut pas aller trop loin, même si évidemment on a l’impression que ce n’est jamais fini…

« J’ai eu envie de faire bouger ces corps… alors je suis partie dans un envol avec mes danseuses ! »

Et pourtant tu as finalement arrêté de sculpter ces danseuses – est-ce que tu as eu l’impression d’avoir terminé, d’avoir fait le tour, ou ça c’est passé par hasard ?

À un moment donné oui, c’était fini, ça ne m’intéressait plus du tout. C’est le travail de la pierre qui m’a amené à simplifier, à épurer les formes – les masques, les visages : aller à l’essentiel, juste quelques lignes pour exprimer le calme, la sérénité…



Elle s’assied et déballe l’œuvre sur laquelle elle travaille, un visage en lignes simplifiées tel un masque africain, avec un soupçon de Modigliani.



Ce visage est très différent de tes œuvres de départ, mais on y retrouve la même sobriété et simplicité que dans tes danseuses ou tes sages.

J’ai toujours aimé l’épuration, mais toujours par rapport avec l’être humain. En dehors des formes céramiques utilitaires que j’ai créées au début, toutes mes œuvres ont un rapport avec le vivant. Ce n’est jamais complètement abstrait – il y a un visage, une présence.


(Elle peaufine la terre avec son outil) Alors cette recherche de lisse, de pur, c’est très questionnable bien sûr, et beaucoup approchent ça de manière très différente ! Moi ce que j’aime c’est que rien n’accroche, que la ligne soit pure… Parfois j’ai laissé les traits de l’outil dans mon travail, mais je ne suis jamais satisfaite, ça me dérange au bout d’un moment !


Lorsque tu t’es mise au travail, tu as tout de suite commencé à sourire…

Oui c’est un vrai plaisir ! J’aime beaucoup le silence de l’atelier aussi. Tout se libère, il y a ce plaisir d’être avec l’outil, avec la terre. Je suis beaucoup dans l’introspection et la solitude, alors ce travail me permet d’exprimer mon intérieur, les choses vécues. La forme se dessine… Le temps ne compte plus !




Tu as toujours pris du plaisir à travailler, ou est-ce qu’il y a eu des phases difficiles ?

Bien sûr c’est parfois difficile. Quand tu montes une pièce au début, ça tombe, ça s’effondre, surtout quand c’est une grande pièce. C’est pareil avec le travail de céramique – la cuisson n’est peut-être pas bonne, il faut recommencer. Il y a de la casse et beaucoup de déceptions ! Ça peut être pesant. Mais le plus important, c’est d’arriver à satisfaction ; et de savoir s’arrêter aussi, car à vouloir aller trop loin, on peut se perdre !

Et puis sur la longueur, ce n’est pas un jet, un travail continu – le travail d’artiste change tous les jours, et avec les phases de la vie. Il y a des rencontres, des rêves, des voyages qui ont toujours alimenté le même plaisir de travailler la terre et de créer des sculptures nouvelles... Oui, le plaisir est toujours là. Etre prise dans son travail, ça fait beaucoup de bien. Et faire quelque chose que tu aimes, c’est une des raisons de l’existence, c’est très fort !



« Toutes mes œuvres ont un rapport avec le vivant. Ce n’est jamais complètement abstrait – il y a un visage, une présence. »

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