top of page

Conversation avec Véronique Reynaud

Artiste plasticienne à Thoiry, France.



L'atelier de Véronique, sous les combles de sa maison, n'est pas un atelier "comme les autres". On y retrouve certainement des peintures et pinceaux, mais il y a aussi des paniers remplis de tissus, des cartons avec fils, ficelles et dentelles, des recoins qui abritent objets de récup' et vêtements vintage. Chez qui d'autre retrouverait-on une boîte intitulée "Culottes aquarellisées" ? J'ai l'impression d'être dans les coulisses d'un théâtre où l'imaginaire foisonnant de Véronique fournit décors, costumes et mises en scène multimédia.


Je suis issue d’une famille très artiste : ma maman faisait beaucoup de danse, de théâtre, elle animait des cours d’expression corporelle ; j’ai une sœur et cousine comédiennes, des oncles peintres... Et moi quand j’étais enfant, je faisais déjà des cours de poterie, j’écrivais, je faisais du théâtre aussi… J’adorais tout ce qui était décors et costumes !


Tu as fait une année aux Beaux-Arts de Lyon, puis une école de décoration étalagiste. Tu n’as pas pensé à étudier plutôt les décors de théâtre ?

J’ai toujours voulu faire des décors de théâtre, et j’en fais ! Et du théâtre aussi, en tant que comédienne amateur. Je fais partie de deux troupes, dont une donne des spectacles de théâtre d’ombres. Et puis pour les arts plastiques, je fais de la peinture, des collages, des techniques mixtes, et puis je travaille aussi le papier, le tissu... J’aime beaucoup la mode, la grande couture, je trouve ça vraiment intéressant ! J’ai toujours eu plein de profils dans mon travail, en fait. Alors après il faut essayer de mélanger toutes ces disciplines et d’en faire quelque chose de vraiment personnel.



Est-ce que tous ces modes d’expression s’influencent les uns les autres ?

Alors oui, quand je fais du théâtre, ceux qui savent que je fais de la peinture me disent « Tiens est-ce que tu pourrais faire les décors, ou l’affiche, ou la présentation du programme ? » par exemple. Ces univers se nourrissent les uns les autres.


Si tu devais choisir une seule discipline, ce serait laquelle ?

Compliqué ! La peinture quand même, je pense… Parce que c’est plus solitaire. J’adore le monde, je suis tout le temps avec beaucoup de gens, mais j’ai vraiment besoin de retrouver ma bulle !



Est-ce qu’il y a quand même des choses que tu trouves dans le théâtre que tu ne peux pas exprimer dans ta peinture ?

S’il y a une chose, c’est pouvoir rigoler de soi. D’aller dans des choses qu’on a en nous mais qu’on ne connaît pas, de se surprendre. Pourtant, en peinture il y a un peu de ça aussi… Dans mon travail de peintre je ne prépare pas du tout en amont. Je pars vraiment au feeling, je ne fais pas de croquis préparatoires. La toile vide, ça peut parfois être flippant... mais généralement je n’ai pas trop de soucis au niveau imaginaire !


Ça me rappelle le travail d’improvisation au théâtre…

Oui peut-être !



Depuis tes débuts, quelles idées ou émotions est-ce que tu essaies d’exprimer – est-ce que ça varie beaucoup, ou est-ce qu’il y a un fil conducteur ?

J’ai toujours aimé les personnages. Je suis quelqu’un qui aime bien regarder comment sont les gens, leurs visages, leurs expressions. Ça rejoint le théâtre, en fait, c’est flagrant dans mon travail. Mes personnages ont des regards hyper expressifs. C’est marrant.


Comment réagissent les gens à ton travail ?

Les dix dernières années j’ai vraiment des super retours – on me dit que c’est un travail inattendu, qu'on n'a « jamais vu ça ! » ; ça me flatte ! Parce que si tu fais quelque chose qui n’a jamais été fait et qui tient la route, c’est que tu es en osmose avec toi-même. C’est ça l’intérêt, c’est arriver à exprimer quelque chose avec sincérité et intégrité, et de manière unique.


Alors après, évidemment, il y en a que ça laisse peut-être indifférent, comme c’est une manière de s’exprimer qui est très personnelle ! Moi j’aime bien tout ce qui est art singulier, art brut, je vais beaucoup dans cette mouvance là.



Tu m'as dit que tu enseignes aussi les arts plastiques ?

Oui, les arts plastiques et l’histoire de l’art. Après mes études, on m’avait demandé si je voulais intervenir dans les écoles. Ça a fait boule de neige, et puis je suis aussi allée dans des associations pour leur proposer des cours. Et voilà, maintenant ça fait plus de trente ans que j’enseigne !


Adultes ou enfants ?

Enfants, ados, et adultes : je vais de quatre à 90 ans ! C’est très enrichissant – on donne beaucoup mais on prend beaucoup aussi. Les petits dessins, les petits traits des enfants, c’est plein de poésie ! Attends je te montre des dessins de ma petite-fille, tu vas voir, c’est tellement beau !


C’est tellement spontané et expressif…

J’adore le graphisme, le contraste entre le noir et le blanc. D’ailleurs avant j’étais très couleurs, maintenant je suis beaucoup dans le noir, avec juste une petite ligne de couleur qui fait ressortir le tout. Au début j’étais beaucoup influencée par Niki de Saint Phalle, par exemple. J’aime toujours beaucoup, mais je suis moins là-dedans maintenant. C’est aussi certainement la vieillesse, la sagesse ! Elle rit.


Qu’est-ce que tu essaies de communiquer à tes élèves ?

J’essaie avant tout de les encourager à ne pas copier les photos ! On peut évidemment se servir de documents pour s’appuyer, mais après il faut faire parler l’imaginaire… Et ça, c’est le plus dur. Si tu prends un cheval, par exemple – si tu l’observes bien, tu apprends les proportions, tu sauras le dessiner. Mais l’imaginaire… c’est vraiment une autre démarche. C'est ça qui m’intéresse, c’est amener les gens à explorer leur imaginaire intérieur. Je suis plutôt leur guide. Il y en a que ça perturbe, parce qu’ils s’attendent à ce que je donne des instructions. Mais d’autres m’ont dit que j’ai été le déclic à leur parcours imaginaire.


Et toi, ton imaginaire ?

Ben, ça vient tout seul ! Elle rit.


Ça vient d’où tu penses ?

C’est familial ! Et puis c’est comme tout, plus tu le nourris, plus il vient. Pour moi, aller dans les expos et les galeries, ça m’inspire beaucoup.



Est-ce que les autres artistes t’influencent ?

Oui, on n’est jamais vierge de toutes façons. Que ce soit n’importe quel art ou forme d’expression, on pioche. Mais le but n’est pas de recopier ou de refaire, c’est de s’en servir, de l’utiliser d’une façon qui me correspond. Pour moi c’est ça le but de l’art ; si c’est pour reproduire, ça ne vaut pas la peine.


Tes tableaux sont peuplés de ces petits personnages très expressifs…

On m’a parfois dit qu’ils semblaient un peu mélancoliques ! Pour moi ils s’interrogent.


Ça exprime ton cheminement intérieur ?

Oui, avec la vie comme elle est ces jours-ci, on est quand même en grosse période de crise… Je suis quelqu’un d’optimiste et même si ma peinture reste légère – dans le bon sens, pas futile ! – c’est vrai que mes personnages ne sont pas forcément joyeux, ils sont parfois un peu décalés… Comme moi, peut-être, je n’aime pas trop être dans les rails !


Tu es un peu décalée aussi ?

C’est un problème parfois, on me demande « vous faites quoi ? », parce qu’on s’attend à un créneau en particulier. Mais moi, je fais ce que je fais ! Ça peut être aussi bien de l’art textile que du papier ou de la peinture… Tout m’intéresse !


Toucher à tout fait partie du plaisir ?

Oui, bien sûr ! J’aime beaucoup travailler des nouveaux matériaux. Les gens me donnent plein de choses en disant « Tu t'en serviras certainement ! » On m’a donné des tubes en plastique que j’ai fait fondre pour en faire des sculptures, par exemple. Maintenant je vais plus vers des matériaux qui me parlent, plutôt cartons et tissus que le chimique. Et avec les vieux tissus, ce que j’aime c’est le côté transmission aussi : j’ai beaucoup travaillé avec des broderies et des dentelles, et pour moi c’est une manière de reprendre et continuer le travail fait par ces dames il y a longtemps.




Tu penses à elles quand tu utilises ces matériaux ?

Oui, je les imagine créer ces jolies dentelles, peut-être un soir après leur dure journée de labeur… Et je me dis que c’est une façon de rendre hommage à ce travail et de le rendre contemporain. Après, j’ai aussi beaucoup travaillé avec les sous-vêtements ! Les gens m’ont donné beaucoup de culottes, de soutiens-gorge…Je trouvais ça intéressant et marrant aussi : certains sont hyper timides quand ils te les amènent, d’autres traitent ça comme des vieux chiffons ! Mais c’est touchant, et ça implique aussi qu’on a besoin des autres pour créer.


C’est très intime !

Mon travail est intime, oui. Ce n’est pas du tout intellectuel, c’est plutôt sensible, je dirais. Un travail intimiste... Avec de l’émotion.


L’émotion, c’est ça le plus important pour toi ?

Oui. C’est intéressant, les émotions dans le travail. Ce n’est pas parce que tu es en colère que ton travail va être colérique, au contraire ! Des fois ça peut être un travail tout doux. Peut-être que ça vient là pour tempérer. Mais c'est intéressant, ça te fait prendre du recul par rapport à ton travail, et à tes émotions aussi.


Si tu ne pouvais plus peindre, cette échappatoire pour tes émotions te manquerait ?

Je serais mal, ah oui ! Mais je ferais forcément quelque chose. J’ai eu un accident de moto il y a des années où je suis restée pas mal immobile, et je faisais quand même tout le temps des petits croquis, des petites choses… Même juste avec des stylos bille par exemple.



Véronique me montre une grande œuvre en technique mixte où des personnages nus se faufilent dans un entrelacs de dentelles et de fleurs en papier.


Là tu ne peux pas me dire que tu t’es mise devant ta toile vide et que c’est ça qui t’es venu ! Tu as dû organiser quelque chose !

D’abord j’ai fait ces nus en aquarelle, mais ça ne m’intéressait pas de les laisser tous seuls, alors je les ai découpés, et installés un à un comme dans une toile d’araignée… La dentelle vient d’un dessus de lit qu’on m’a donné. C’est comme un grand jardin, qui n’est pas forcément un Eden non plus… Mais après chacun y voit ce qu’il veut, et d’ailleurs ce sont les gens qui regardent qui me disent ce qui s’y passe ! Là quelqu’un m’a dit « Tu n’as enlacé que les gars » et en regardant chaque personnage, j’ai réalisé qu’il avait raison. Les nanas, elles se pavanent ! Elle rit.


Tu m’as dit que tu avais aussi illustré un livre pour enfants ?

Oui, ma sœur a écrit un livre pour enfants, et j’ai fait les illustrations. Mon autre sœur, qui travaille dans la communication, nous a fait la mise en page – c’était un projet commun entre frangines ! Et c’est ce livre-là qui nous a servi comme base pour un spectacle d’ombre – ça s’appelle « Dans la forêt de Mathurin ». J’aime beaucoup créer des personnages avec un petit côté théâtral, c’est se raconter des histoires, en fait.


Quand tu crées un tableau, tu dessines d’abord séparément sur papier, et ensuite tu recomposes ?

Je peux partir de quelques têtes, par exemple. L’autre jour je me suis amusée à faire des petits personnages. Souvent ce sont les jours où je suis fatiguée, alors je vais juste crayonner, faire comme un exercice. Et ensuite je les mets de côté pour pouvoir les réutiliser par la suite. Il y a des jours où je trouve même des choses par terre que je peux reprendre – pas aujourd’hui, comme je savais que tu venais, j’ai balayé ! Elle rit. Mais tu vois par exemple cette tête-là elle traîne depuis hyper longtemps, et puis un jour je sais qu’elle va me servir à quelque chose.




Incroyable, c'est quoi cette boîte « Culottes aquarellées » !?

Oui, parce que je peins des habits ! J’ai plein de robes peintes aussi – il y en a dans le couloir, et tout plein dans cette valise.


Ce sont des costumes de théâtre ?

Non, ce sont des habits œuvres ! Au début je les avais exposées comme ça, et puis quelqu’un a demandé à en acheter, donc j’en ai vendu quelques unes… C’est pour mettre sur un cintre ou sur un modèle dans le coin d’une chambre. Les gens sont plus ouverts à avoir des œuvres un peu décalées, maintenant, ils veulent quelque chose d’original, pas forcément un cadre à mettre au mur.


Véronique me sort une série de robes retravaillées, dont une robe de mariée inimitable, décorée au feutre, garnie de poches en culottes dentelle, et dont la traîne est repiquée d'une ondulation de soutiens-gorge multicolores.


C'est un peu ma carte de visite ! Je la mets parfois en expo mais elle n'est pas à vendre. C'était énormément de travail, mais c'est très ludique ! Tu vois, il y a même des petites bouteilles de champagne pour faire la fête...


Tu as déjà une longue carrière derrière toi – comment penses-tu que tu as évolué ?

Je pense qu’il faut beaucoup, beaucoup de temps pour être bien dans son style. Au début, il y a plein de choses qui t’intéressent, tu puises dans les autres artistes, et tu t'en inspires pour créer, avant de te demander si finalement ça te correspond… Et puis avec l'âge, tu développes un style dans lequel tout médium peut se retrouver – aussi bien le volume que la peinture. Moi ça fait une dizaine d’années que je me sens vraiment bien, que j’ai l’impression d’avoir une marque de fabrique. C’est un long cheminement, et puis ce n’est jamais fini ! C’est ça qui est bien.



Est-ce que ça suit un peu la vie, car finalement on ne se connaît vraiment qu’avec l’âge ?

Oui c'est sûr, et puis au bout d’un moment tu es plus disponible aussi, tu n’as plus les gamins qui courent partout ! Je me souviens d’ailleurs, quand mes enfants étaient petits, dès qu’ils faisaient la sieste, hop, j’allais travailler un peu... Et c’est pour ça, quand on me dit « Et la retraite ? »… Mais moi je ne serai jamais à la retraite ! Même quand je n’enseignerai plus, je serai toujours artiste, ça fait partie intégrante de moi. C’est une nécessité !


Véronique se met à travailler – très vite, elle croque quelques petits visages avec les grands yeux qui caractérisent son travail. Elle adoucit les traits au pinceau, puis sort colle et ciseaux. Découpés et recollés sur papier, puis habillés de morceaux de tissus bariolés, ils prennent vie comme des pantins.



Alors je vais vite, hein – toujours mon côté spontané ! Mais c'est aussi parce que ça fait partie des choses que je fais souvent, donc je n’ai plus trop à réfléchir... Même si je suis quand même hyper concentrée ! Je pars dans ma tête, en fait... Quand j’enseigne des stages, les gens me demandent parfois pourquoi je ne dessine pas avec eux, et je leur dis « Mais si je me mets à dessiner je ne vais plus vous voir, je ne serai plus là ! » Elle rit. Pour moi, mon atelier, c’est un lieu d'évasion – c'est là où je pars voyager !


Le travail de Véronique est à découvrir sur www.veroniquereynaud.odexpo.com.


Comentarios


bottom of page